“La salle des professeurs”, un condensé de notre système social

Le film allemand, qui a reçu 5 prix aux Deutscher Filmpreis 2023, nous enferme pendant 1h30 dans un collège où se déroulent des vols et une enquête. On y découvre une classe, son prof et les conflits qui naissent chez les profs, chez les élèves et dans l’administration. Entre réflexion intellectuelle et émotion, cette petite histoire concentre les maux d’une société qui ne sait plus résoudre ses conflits.

Carla Nowak (Leonie Benesh) dans la salle des profs. Photo Alamodefilms



Par Bernard Cassat

 

Le film de İlker Çatak et de son scénariste Johannes Duncker part d’un souvenir du réalisateur. Dans son collège lorsqu’il était gamin, des vols répétés avaient amené l’administration à vérifier les porte-monnaie des enfants, mais uniquement des garçons. La scène-souvenir est présente telle quelle dans le film. La professeur principale de la classe du film réprouve cette pratique qu’elle trouve inquisitoriale, mais participe de fait, de par sa position, à la réaction très discutable de l’encadrement non dénué de sexisme, de racisme et d’humiliation.

Ce qui plonge Carla Nowak, nouvelle prof dans ce collège, dans un porte-à-faux difficile. Elle semble au début du film parfaitement bien intégrée dans cet établissement où elle enseigne depuis peu. Mais très vite, cette question des vols et des accusations non vérifiées vont dérégler la machine. Carla devient le centre de ces dérèglements, pour avoir cherché à savoir vraiment qui volait. Et trouvé, mais en utilisant des moyens de surveillance douteux.

Un microcosme de la société

Tout va s’accumuler pour dresser un huis clos qui devient un microcosme de la société extérieure. Conflit avec l’administration, qui intervient à la hussarde et bouscule les élèves, allant ainsi contre une attitude bienveillante que Carla veut à tout prix entretenir avec eux. Conflits entre professeurs, pas d’accord sur une ligne de conduite face au problème des vols. Ce qui amène tous les autres sujets politiques, la question de la répression, du racisme, de la discrimination. Surtout que Carla est elle-même issue de l’immigration polonaise. Conflits entre profs et élèves, où l’attitude ouverte de Carla se trouve confrontée à la découverte par le groupe des élèves de la solidarité entre eux, du regroupement pour devenir politiquement forts. Donc du refus collectif de coopérer, ce qui leur fait découvrir la fragilité du système et la force qu’ils peuvent acquérir. Système qui dans la classe est incarné par Carla elle-même très atteinte par ces réactions, et qui frise le burn-out. Avec en plus tout l’épisode des apprentis journalistes. Les élèves réalisent un journal d’école, avec des interviews poussées jusqu’au malaise, suivies d’une publication de révélations supposées. Donc en toile de fond l’épineuse question de l’objectivité de l’information, de la difficulté de ne pas prendre parti lorsqu’on informe.

Oskar (Leo Stettnisch). Phot Alamodefilms.


Toutes ces questions débouchent sur l’ouverture du microcosme scolaire, la police intervenant à l’intérieur de l’établissement. C’est la dernière image du film. Constat d’échec ? Ou fin ouverte ?

Ce qui se passe à l’école aujourd’hui intrigue de nombreux adultes alors qu’il est manifeste que dans les classes se posent des problèmes de fond de notre système. Ce que le film a parfaitement saisi. Surtout que la classe de Carla est constituée de manière très convaincante par un choix de jeunes acteurs qui fonctionnent aussi bien individuellement qu’en groupe. Oskar, interprété par le jeune Leo Stettnisch, le meilleur de la classe, devient leader de la lutte contre le système pour défendre l’honneur de sa famille. Personnage touchant, il allie intelligence et grande sensibilité pour nous émouvoir. Et Leonie Benesch qui incarne Carla Nowak, est parfaite de réalisme et de jeu en finesse. Elle apporte beaucoup d’émotion à ce film au fond très intellectuel.

Le cri juste avant le burn out. Photo Alamodefilms.


Le réalisme de ce collège à l’écran, le naturel des acteurs, l’ambiance reconstituée de cette salle des professeurs fonctionnent bien. On y croit, on assiste à des cours bien faits, avec une prof intelligente, inventive et dévouée corps et âme à son métier. Mais la montée de la violence dans les rapports humains suit une mécanique trop bien huilée. La logique de conflit qui s’enferre dans ses refus étouffe la partie émotionnelle pourtant bien installée. Ça va à la bagarre, et pourtant ce n’est pas un film de lutte. Juste une dénonciation d’une idée un peu floue sur un milieu complexe de rapports humains. La vie, donc, qu’elle soit dans l’école ou en dehors. Mais le système n’en prendra pas ombrage.


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