« Chroniques de Téhéran », la dictature de l’absurde

Dans un film totalement original, Ali Asgari et Alireza Khatami, deux jeunes scénaristes réalisateurs iraniens, nous parlent de leur pays, du quotidien sous une dictature religieuse. Drôle, touchant, glaçant aussi, Chroniques de Téhéran tire sa puissance de la bouffonnerie, reflet du quotidien des Iraniens-ennes.

Un homme vient déclarer la naissance de son fils. Photo TAAT Films

 

Par Bernard Cassat


Image fixe de la ville de Téhéran la nuit. Le plan dure, la lumière change, l’aube pointe puis s’installe. Et carrément le jour. Les oiseaux d’abord se font entendre, puis les klaxons, le trafic qu’on ne voit pas. Quatre, cinq minutes peut-être, c’est long mais c’est magnifique.

Et ça installe le dispositif du film. Neuf fois, un prénom, puis une saynète en plan fixe. Le personnage, face caméra, assis ou debout selon l’environnement, se heurte à l’administration. C’est le lien, le fil du film. Déclaration de naissance, permis de conduire, amende pour infraction, entretiens d’embauche. Neuf situations où l’on doit se présenter devant un guichet et se soumettre au bon vouloir d’un employé. Qu’on ne voit jamais, il parle en voix off. La caméra ne bouge pas, le personnage est au centre, face à nous, qui devenons cette administration absolument inadmissible, parfois même insoutenable.

Une jeune conductrice de taxi aux cheveux courts a une contravention. Photo TAAT Films


Car à chaque fois, l’affaire dévie. Questions saugrenues, qui en fait arrivent toutes à la religion. Pour la déclaration de naissance, par exemple, impossible d’appeler le nouveau-né David. Le père n’en démord pas, mais l’employé non plus. Un dialogue absurde se développe, avec un abus manifeste de pouvoir de la part de l’employé, qui interdit au nom de la loi. Dialogue humoristique, l’enjeu n’étant qu’un prénom. Il n’y a pas humiliation, juste une absurdité totale avec qui tout dialogue est impossible. Et c’est drôle.

Mais d’autres saynètes, la majorité même, développent ce même absurde qui devient inquiétant, même révoltant. Comme cet homme qui vient retirer son permis de conduire et qu’on oblige à se déshabiller pour montrer ses tatouages. Ça dure, le pauvre gars se retrouve dans la position d’un accusé pendant un jugement.

Montrer patte blanche pour un permis de conduire. Photo TAAT Films


Mais les pires sont peut-être les deux entretiens d’embauche. Une jeune fille d’abord, bien habillée à la mode mollah, avec foulard et tout. La conversation s’engage. Puis l’employeur dont on voit la main parfois, devient extrêmement tendancieux. On se dit qu’il va passer à l’acte sous peu. Il manipule cette fille et devient grossier, injurieux. Une autre séquence montre un homme, chômeur plus très jeune, interrogé non pas sur ses compétences, mais sur la religion. On le voit se débattre pour être à la hauteur.

Insupportable et terriblement humiliante, cette séquence est l’essence même du film, parce qu’au-delà de la compassion, il y a quelque chose de très drôle dans ses gestes, dans ses efforts, de pathétique aussi. L’alliance de souffrance et de bouffonnerie est déclinée tout au long des séquences. Leur dévoiement par les différents employés qui exercent leur tout petit pouvoir minable montre profondément la banalité de la bêtise qui devient celle du mal. L’Iran est véritablement une dictature totalitaire religieuse qui utilise les petits employés pour fonctionner.

Une histoire de chien enlevé. Photo TAAT Films


Peut-être un peu à part, une séquence cadre un cinéaste venu demander les permis de tournage de son scénario. L’absurdité de l’administration arrive au plus haut point, toutes les pages du scénario sont arrachées. Il n’a qu’à filmer une scène du Coran et toutes les portes lui seront ouvertes !

Le début de la fin. Photo Neue Visionen Filmver


Ali Asgari et Alireza Khatami, les deux jeunes scénaristes réalisateurs, ont pour leur part sans doute bien camouflé leurs intentions à la censure. Et pourtant elles éclatent dans le produit fini, avec une esthétique extraordinaire et un jeu cinématographique puissant. Ils terminent quand même leur film par une dernière séquence muette celle-là, d’une destruction totale de la ville, de l’empire, de toute cette dictature, comme les plus belles fictions hollywoodiennes. Tout en restant dans le quotidien. Et c’est là leur très grande force.


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Commentaires

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  1. Effectivement, un film à voir, et qui sort des habitudes cinématographiques. J’ai aussi adoré la saynète où une petite fille danse devant un miroir (en fait la caméra) et que l’on affuble de vêtements religieux hors caméra avant qu’elle ne revienne devant son miroir, les enlève et danse à nouveau.
    La destruction de la ville à la fin est peut-être aussi une allégorie préfigurant le jugement dernier, que l’on évoque dans le film.

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