« Laissez-moi » : de belles images et des acteurs formidables pour un film mineur

Esthétique soignée et histoire romanesque, Maxime Rappaz dresse un bel écrin à son portrait de femme. Le film repose entièrement sur Jeanne Balibar, une fois de plus extraordinaire, multiple, complexe. Mais la magnifique prestation des acteurs ne fait pas oublier la minceur du propos.

Jeanne Balibar est Claudine qui revêt sa robe de femme fatale. Photo Eurozoom.



Par Bernard Cassat


Le scénario de Laissez-moi est mince, très mince. Il exploite un principe très romanesque, celui des habitudes, du rituel. Claudine, une couturière, laisse tous les mardis en garde son fils handicapé chez une voisine. Elle passe une robe blanche, monte dans la montagne, traverse un barrage, redescend puis dans un café d’hôtel, se choisit un homme et monte avec lui dans sa chambre. Il faut qu’il n’y ait aucune possibilité d’avenir.

Ce rituel est répété plusieurs fois dans le film, évidemment. Le train, la montagne, avec des images magnifiques de barrage, de téléphérique. La rencontre dans le bar, la discussion sur la ville d’où vient l’homme. Qui se poursuivent par des images d’amour très franches, les corps nus filmés ostensiblement. Le départ de Claudine, le trajet dans l’autre sens, la boite aux lettres, le retour chez elle. Car au pied des montagnes, où elle habite avec son fils, et c’est la suite du rituel, le jeu est d’ouvrir la boite aux lettres et de trouver une missive, qui raconte mot pour mot ce que l’homme a raconté de sa ville, mais qui est signée « ton père ».

Claudine et son fils handicapé (Pierre-Antoine Dubey). Photo Eurozoom.


Comme toute histoire de rituel aussi élaboré, le développement va venir d’un dérèglement. Ici, c’est la rencontre avec un homme qui n’est pas comme les autres. Une véritable relation va s’instaurer. Vouée à l’échec, bien sûr. Les autres hommes ne lui déplaisaient pas. Celui-ci l’attire, et réciproquement. Claudine va friser la libération de l’emprise de son fils sur elle.

C’était attendu ! Deux choses retiennent le spectateur : la beauté des images, d’abord, dans des séquences lentes et minutieusement construites. Dès le début, cette longue séquence dans un train, extrêmement esthétique. Ou ces images dans la plaine, sur le chemin qui mène chez la couturière. Et les acteurs ensuite, Jeanne Balibar en tête. Elle donne ici toute une gamme de ses possibilités. Il y a encore en elle quelque chose de Barbara. Surtout chez la Balibar séductrice, lorsqu’elle regarde intensément de ses grands yeux noirs, en les roulant parfois, avec un sourire publicitaire et une voix outrée. Mais on la découvre très différente, plus simple, plus immédiate, quand elle est dans la peine ou dans le quotidien. Il n’y a pas que son visage. Elle se donne au film comme elle se donne aux hommes, pour le jeu du plaisir. Nue et candide. Rare prestation d’une actrice aussi installée !

Le chemin au-dessus du barrage. Photo Eurozoom.


L’homme qui retient son attention, Thomas Sarbacher, remplit parfaitement son rôle d’ingénieur hydraulique amoureux. Et Pierre-Antoine Dubey incarne un fils gravement handicapé avec une force renversante.

Et la visite au fin fond du barrage. Photo Eurozoom.


Maxime Rappaz, le réalisateur dont c’est le premier long métrage, met en place une esthétique appuyée, presque un maniérisme. Beaucoup de passages ne servent absolument pas l’histoire, la visite du barrage par exemple, mais aboutissent à des images d’un romantisme recherché, le couple devant un hublot. Ou ce même couple, plus tard, en extérieur, qui s’enlace sur fond de montagnes sublimes. Laissez-moi se laisse voir comme un exercice plutôt brillant mais assez vain, un portrait de femme que Balibar remplit à merveille sans qu’il n’y ait vraiment d’autre enjeu.


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