Blois, émeutes urbaines et après ?

En proie à une violente émeute urbaine dans la nuit du 16 au 17 mars dernier, les quartiers-Nord de Blois symbolisent le mal-être d’une partie de la jeunesse qui s’estime rejetée dans un ghetto urbain. Des associations comme Chasseurs de talents tentent de maintenir le lien et de leur donner confiance dans l’avenir en les aidant à bâtir un projet.    

Chasseurs de Talents

Les bénévoles de Chasseurs de talents 41. De gauche à droite : Asma Mechaï (présidente), Asna Fraisse (trésorière), Seyef Chikhaoui (salarié), Habiba Mebrouk (vice-présidente). Photo Jean-Luc Vezon

Les quartiers Coty, Kennedy et Croix-Chevalier concentrent au total 11 000 habitants, soit 25 % de la population blésoise et 47 % des demandeurs d’emploi. 480 jeunes y sont notamment suivis par la Mission locale tandis que près de 6 400 habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Il s’agit de l’un des plus grands quartiers prioritaires de la politique de la Ville (QPV) de France. Pas étonnant donc que 300 à 400 jeunes aient affronté la police à la suite du décès de Yanis dans un accident de la route à la suite d’une course poursuite.

Au côté des services de l’Etat et de la ville, de nombreuses associations citoyennes combattent au quotidien l’exclusion socio-professionnelle, l’illettrisme ou militent pour la mixité et le rapprochement interculturel. C’est le cas de Chasseurs de talents, qui a vu le jour le 31 juillet dernier à la suite d’ateliers issus des Assises du mieux vivre ensemble organisé à la Maison de Bégon.

Avec le soutien financier de l’Etat, la structure, hébergée à la Maison des associations, a pu mettre en place 2 pôles (citoyenneté et professionnel) pour accompagner les jeunes. « Nous sommes partis du constat d’un fossé grandissant entre les jeunes et les institutions (Pôle emploi, Mission locale…) ; les jeunes ont du mal à aller vers elles car trop administratives. Ils ne profitent donc pas des dispositifs. Chasseurs de talents ambitionne d’être une passerelle. A partir d’une relation de confiance, nous leur proposons un accompagnement socio-professionnel sur la durée », explique sa présidente Asma Mechaï.

Habiba Mebrouk

Asma Mechaï, présidente de l’association Chasseurs de talents 41 qui a pour but d’aider les jeunes des quartiers nord à s’insérer. Photo Jean-Luc Vezon

Pour cela, elle tente d’abord de les repérer sur les quartiers mais aussi sur Internet et les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat). « Il s’agit le plus souvent de jeunes mineurs, souvent déscolarisés, livrés à eux-mêmes… je fais le premier pas », raconte Seyef Chikhaoui, chargé d’insertion. Grâce au dialogue, le jeune homme, issu du quartier et dont le poste est financé par l’Etat (contrat adulte-relais), va ensuite leur présenter les solutions d’insertion existantes comme la Garantie Jeune, les emplois francs, 100 chances-100 emplois ou encore l’accès à une formation permettant de travailler par exemple dans une entreprise d’un secteur qui recrute.  

Pour Habiba Mebrouk, vice-présidente de Chasseurs de talents, ces jeunes ont clairement « un problème d’estime d’eux-mêmes », issu d’une forme de stigmatisation. « Ils se sentent ostracisés du fait de leur origine. Malgré les chartes comme celle de la Diversité, signées pour se donner bonne conscience, il leur est difficile d’accéder à l’emploi d’autant plus qu’ils n’en ont pas les prés-requis et les codes. »

Asma Mechaï,

Habiba Mebrouk, vice-présidente de Chasseurs de Talents, considère que “les jeunes n’ont pas les prés-requis et les codes pour accéder à l’emploi ». Photo Jean-Luc Vezon

Parmi les freins à l’emploi, la mobilité et la communication sont de vraies difficultés. L’association a donc mis en place plusieurs sessions de formation au code de la route en lien avec une auto-école. Et ça marche puisque 17 jeunes l’ont obtenu sur 20 présentés. Un atelier coaching en développement personnel, en partenariat avec Entreprise & Formation (E & F), va aussi voir le jour. Au programme, quatre jours d’accompagnement pour huit jeunes.

« Farida Santana, coach en développement personnel, va intervenir au Lab pour les préparer à l’entretien. Ils pourront ensuite participer à un gala d’éloquence que nous allons organiser cet été. L’objectif est d’encourager les jeunes à prendre la parole », annonce Hashem Sharaab, conseiller emploi au sein d’E & F, structure associé au Medef 41 et membre de l’équipe Chasseurs de talents.

Des parents en souffrance

Si pour le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, « la République ne peut pas toujours faire le travail des parents », ce n’est pas si simple. « Comment aider quand on est soi-même en difficulté, précarisés, parfois illettrés ? ils font souvent le maximum. Pour Yanis par exemple, la maman appelait au secours depuis longtemps », souligne Asma Mechaï en constatant que la scolarisation dans les écoles privées augmente à l’image du groupe scolaire musulman Al Ghazeli qui vient de s’implanter rue Michel Bégon face au collège public (1). « C’est normal. Les gens ont peur pour leurs enfants », analyse-t-elle.

Médiatrice à la Maison de Bégon, la jeune femme n’occulte pas les choses : « La situation n’est pas bonne. Les jeunes ont du mal à respecter les règles comme le couvre-feu. L’émeute était prévisible. » Habiba s’interroge pour sa part sur « des images disproportionnées, montées en épingle par les réseaux sociaux qui jettent l’opprobre sur le quartier ». Un quartier qui a su rester soudé face à l’épreuve. Le 21 mars, une marche blanche à laquelle ont pris part 400 personnes a d’ailleurs illustré cette solidarité.

Lab Blois

Le pôle d’entreprises du Lab est installé au cœur des quartiers Nord de Blois. Photo Jean-Luc Vezon

« J’espère que le décès de Yanis servira de leçon aux jeunes. Mais il ne faut pas les condamner comme il ne faut pas condamner la police (2). Ce qui importe, c’est de créer du lien et de leur donner envie de construire un chemin pour leur avenir. Pour cela, il importe de valoriser le travail de terrain des associations et de leur apporter des moyens financiers. Tout ne doit pas être mis dans la rénovation des immeubles », insiste Asma.  

Evoquée à demi-mot, l’emprise de la drogue reste pourtant certaine dans le quartier avec une économie parallèle enracinée. Le communautarisme ? Ce serait une question de regard pour ces bénévoles car « tout le monde vit bien ensemble ». Ce repli serait également une conséquence de la politique. « Il n’y a plus que des personnes venues d’ailleurs installées ici. La mixité avec les Français de souche a disparu, il faut ouvrir le quartier… » Asma, Asna et Habiba sont unanimes sur ce point.   

« Nous devons accompagner ceux qui arrivent, accompagner la transition d’une culture à l’autre. Nos premiers résultats d’accès à l’emploi sont encourageants. Il ne faut pas lâcher. On va faire bouger les choses ». L’entretien se conclut sur ce message d’optimisme.

Jean-Luc Vezon

(1) Rattaché à l’Union pour les Établissements Privés Musulmans (U.E.P.M) 

(2) Le jeune Yanis est décédé dans l’accident provoqué par la fuite. La police avait stoppé la course-poursuite.

Lire aussi : Conseil municipal de Blois : Economies d’énergie et sécurité en débat

 

Interview de Thomas Prigent, directeur de la Mission locale du Blaisois

« Il faut trouver l’équilibre entre l’exigence et la bienveillance »

Thomas Prigent

Thomas Prigent, directeur de la Mission locale du Blaisois depuis 2007 connaît bien la réalité des jeunes dans les quartiers Nord de Blois. Photo Jean-Luc Vezon

Comment analysez-vous l’émeute urbaine du 16 mars dernier dans les quartiers Nord de Blois ?

Thomas Prigent : Je ressens une colère chez ces jeunes qui n’arrivent pas à trouver une place dans la société. Il s’agit de mineurs et de jeunes adultes qui sont aussi en proie à la révolte de la jeunesse contre l’ordre social qui a toujours existé. Souvenons-nous des Apaches ou des Blousons noirs par exemple. Il faut donc relativiser. L’explosion n’a heureusement pas duré, associations et habitants ont œuvré pour que ça ne dégénère pas. Je constate cependant une situation qui se dégrade depuis les années 90 comme le confirme les études du CEREQ. Pour les jeunes des cités, c’est la triple peine : ils sont issus de milieux populaires, n’ont pas de formation et subissent un rejet lié à leur origine/patronyme et leur appartenance au quartier. Je rappelle qu’il est prouvé que le taux de chômage est inversement proportionnel au niveau de diplômes.

Certains disent qu’il y a un fort niveau de défiance envers les institutions. Vous êtes d’accord ?

T.P. : C’est exact mais cela ne concerne pas seulement les jeunes des cités. Nos concitoyens remettent aussi en cause les politiques, les corps intermédiaires, les contraintes… Pour beaucoup de jeunes, aller dans une institution marque un risque d’intrusion, une peur de rendre compte ou du jugement d’autant que certains sont en échec scolaire. Il y a aussi une sorte de phobie sociale liée au harcèlement à l’école et/ou aux réseaux sociaux. Nous devons donc nous adapter et aller à la rencontre des jeunes. Grâce à l’aide de la fondation du Crédit agricole Val de France, la Mission locale a par exemple ouvert en décembre dernier un site à Mirabeau, au cœur des quartiers nord, qui est accessible sans rendez-vous toute la semaine (sauf le mardi après-midi). Trois salariés sont à disposition des jeunes et leur facilitent l’accès aux ressources numériques. On s’aperçoit en effet que beaucoup ne maîtrisent pas les usages professionnels d’Internet.    

 C’est paradoxal. De nombreux emplois sont proposés aux jeunes dans des entreprises en tension de main d’œuvre, pourquoi n’en profitent-ils pas ?  

T.P. : La mise en relation est difficile pour plusieurs raisons : absence de qualification, non maîtrise des codes professionnels, problème de mobilité… Parfois, les emplois proposés présentent de fortes contraintes que les jeunes ne sont pas capables d’absorber ; je pense aux centres d’appels, aux emplois de saisonniers. Il y a aussi une offre importante d’emplois en intérim par nature temporaires dans lesquels ils sont peu reconnus. Au-delà, il faut bien dire que la valeur travail n’est plus automatique mais cela concerne l’ensemble des salariés qui sont à la recherche de sens. Au travail, ces jeunes ont besoin de reconnaissance. L’enjeu pour l’employeur est de trouver l’équilibre entre l’exigence et la bienveillance.

Comment voyez-vous l’avenir ?  

T.P. : La société veut être inclusive mais la distance entre les gens s’accroît. Il faut fabriquer de la communauté, de la confiance. La Mission locale est à la croisée des mondes. Plus que jamais, elle doit aller à la rencontre des jeunes pour les aider à se connaître, se reconnaître, à tracer leur chemin professionnel. Nous disposons de dispositifs d’insertion intéressants comme la Garantie jeune, véritable accélérateur de parcours (1), l’enseignement de la conduite ou les contrats aidés (plan gouvernemental France Relance « 1 jeune, 1 solution »). La société doit aussi mieux les écouter. Trop de choses viennent d’en haut et les politiques publiques manquent souvent de cohérence et d’encrage dans le réel.  

 Propos recueillis par Jean-Luc Vezon

 (1) Les conseillers de la Mission locale suivent 2 600 jeunes par an ; environ 500 sont issus des quartiers nord de Blois.

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