Osez Joséphine. Baker de France et ses « deux amours » au Panthéon

Première publication le 29 août 2021

Toute décision de faire entrer au Panthéon les « Grands Hommes » – et désormais, enfin, les “grandes femmes” – qui ont fait la France est éminemment politique et, depuis la Cinquième République, une des prérogatives personnelles du Chef de l’Etat. Singulièrement avec le quinquennat bientôt achevé d’Emmanuel Macron, qui a semblé vouloir utiliser le levier de la politique mémorielle comme agent compensateur du glissement vers le centre-droit de sa politique économique et sécuritaire.

Par Pierre Allorant

Joséphine Baker en 1940, photographie Studio Harcourt.

La politique mémorielle, un marqueur pour rééquilibrer le quinquennat Macron ?

Ainsi, les avancées sur la reconnaissance des crimes du colonialisme, sur la responsabilité de l’Armée française dans la torture et l’assassinat du jeune professeur communiste Maurice Audin en Algérie ont contribué à dresser un parallèle avec le geste de Jacques Chirac en 1995 reconnaissant que l’Etat français avait « commis l’irréparable » par sa collaboration active à la déportation des Juifs français et étrangers à travers la rafle du Vel d’Hiv.

La récente décision de faire entrer au Panthéon Joséphine Baker fera, une fois n’est pas coutume, consensus en-dehors des éructations de nostalgiques zemmouriens qui pourraient y voir, au cœur du quartier latin, une confirmation du « grand remplacement » !

Oserons-nous rappeler que dans un article publié par MagCentre le vendredi 17 juillet 2020 (Lieux de mémoire en région Centre-Val de Loire #3 Un panthéon, de Simone à Maurice), nous nous interrogions, derrière « Celles et Ceux de 14 » entrés avec Maurice Genevoix » : « Et pourquoi pas ensuite fêter Joséphine Baker, histoire de rappeler que tout un chacun a « deux amours », son pays et Paris, comprenez sa petite patrie et lHumanité, ses valeurs universelles au-delà de tous les suprémacismes communautaires ? »

Si Trump a depuis, difficilement, quitté la Maison Blanche, il reste que nous sommes à l’heure où une stèle de Simone Veil – entrée il y a 3 ans au Panthéon – est, à plusieurs reprises, dégradée sous le signe explicite de la croix gammée, et où quelques autres – bêtise ou ignorance crasse ? – portent l’étoile jaune en guise de protestation contre le passe sanitaire, comme si Louis Pasteur et Heinrich Himmler avaient été des collègues de laboratoire. En ces temps de confusion, un bref retour sur le sens de la panthéonisation et la portée des choix effectués n’est peut-être pas inutile.

Entrer au Panthéon : les choix des Républiques parlementaires et présidentialiste 

saffecté par la Révolution française, le Panthéon a d’abord accueilli les cendres des orateurs (Mirabeau) des législateurs (l’abbé Grégoire) et des philosophes (Voltaire, Rousseau) des Temps nouveaux éclairés par la Raison, la Liberté, la Souveraineté des citoyens égaux en droit. En notre année de bicentenaire bigarré de Napoléon Bonaparte, soldat de la Révolution et rétablisseur de l’esclavage, on relèvera qu’il transforme le temple en nécropole des dignitaires de la Grande Armée. En revanche, les trois Républiques suivantes ont, chacune à leur manière, concocté un panel représentatif de leurs valeurs, y compris à travers le très long oubli de l’apport des femmes. Sous les Troisième et Quatrième Républiques, le « parlementarisme absolu » confie naturellement le choix des Grands Hommes aux assemblées : l’entrée en 1885 du grand Victor Hugo, sénateur inamovible et pourfendeur de « Napoléon le petit », renoue avec la pratique révolutionnaire, et les choix de Léon Gambetta après 1918 et de Jean Jaurès en 1924 traduisent à la fois les questions nationales du moment et les valeurs d’une majorité parlementaire.

Joséphine Baker en uniforme de l’Armée de l’Air française en 1948

La « mal-aimée » Quatrième République se montre plus timorée, réservant l’entrée au Panthéon aux scientifiques Paul Langevin et Jean Perrin, au gouverneur Félix Éboué, à Victor Schoelcher et à Louis Braille. Mais le Panthéon reste à jamais associé au discours d’André Malraux, courbé sur son pupitre, saluant l’entrée du préfet d’Eure-et-Loir, Jean Moulin, entré « avec son terrible cortège » en 1964. Après l’indifférence ou les prudences mémorielles de Pompidou et de Giscard, les portes du Panthéon s’ouvrent largement sous François Mitterrand pour célébrer le grand juriste René Cassin, le « père de l’Europe » Jean Monnet, puis avec le bicentenaire de 1789 Condorcet, l’abbé Grégoire et Monge, enfin en 1995 Pierre et Marie Curie. Chirac a rendu hommage à Malraux et en 2002 à Alexandre Dumas le métis, contre les remugles lepénistes, puis Hollande un hommage paritaire à quatre incarnations de formes de Résistance et de valeurs de la République, dont Jean Zay, le « Jules Ferry du Front Populaire ».

Le lys dans la vallée : le Val de Loire à l’honneur

A l’instar de Jean Zay, plusieurs natifs du Centre-Val de Loire ont bénéficié de cette « élection », ou pourraient être choisis. Représentant de Blois, l’abbé Grégoire a été l’un des premiers (avec le Loirétain Mirabeau) en tant qu’émancipateur des juifs français, citoyens égaux à tous les autres. Chartres est honoré à travers le résistant du 17 juin, le préfet de tous les refus et de l’unification de la Résistance, celui qui n’a pas parlé sous la torture de Klaus Barbie, comme l’évoque à nouveau Sorj Chalandon dans son dernier et grand roman Enfant de salaud. Orléans a Jean Zay et Genevoix, et Péguy a été évoqué à plusieurs reprises, mais sa famille ne l’a pas souhaité. Mais il reste bien des personnalités à célébrer, à commencer par George Sand.

Baker live’s matters. Une vie de femme libre au XXe siècle

Portée par une pétition massive et un argumentaire brillamment défendu par Régis Debray, Joséphine Baker incarne aussi un moment : celui où la France, à la lumière de la redécouverte du racisme profond d’une moitié de la société américaine, se réinterroge sur son rapport à toutes les différences et inégalités, de genre et d’origine, dont la plus visible, la couleur de la peau. Première star mondiale « de couleur » avec le foudroyant succès de la « Revue nègre » au cœur des années folles, Résistante dans la France libre, militante de l’égalité raciale auprès de Martin Luther King, humaniste porteuse de fraternité universelle avec sa famille adoptive mondialisée, Joséphine Baker est formidablement contemporaine et merveilleusement universelle. Raison de plus pour rêver plus grand : écarter toute tentation d’alibi en lui associant une autre figure de « femme puissante », entendons fortement inspirante par son courage et ses combats : Gisèle Halimi.

Plaidoyer pour Gisèle Halimi

Les choix de panthéonisation donnent très souvent lieu à des oppositions artificielles et réductrices, bien souvent à l’opposé des idées ou attachements des personnalités concernées : on a ainsi « joué » Maurice Genevoix contre son ami Jean Zay (et inversement), ou encore Charles Péguy, toujours un Orléanais, contre l’auteur de Ceux de 14 et de Raboliot. Ne versons pas dans pareil combat douteux en « ayant raison avec Joséphine » pour mieux écarter Gisèle, comme d’autres préféraient durant la Guerre froide se tromper avec Sartre plutôt qu’avoir raison avec Aron ou Camus. Or les combats de l’avocate juive pied-noire contre la torture en Algérie et pour le féminisme rejoignent ceux de l’Américaine devenue Française contre toutes les formes de discrimination.

Alors que l’entrée au Panthéon de Gisèle Halimi semblait en bonne voie au lendemain de la publication des 22 propositions du rapport Stora, la crainte de l’entourage présidentiel de mécontenter les électorats harki et pied-noir à la veille des échéances d’avril 2022 semble plaider pour un simple hommage aux Invalides, dans le cadre des 60 ans des accords d’Evian. L’alibi de la trop faible durée écoulée depuis la disparition, ou encore d’une prétendue réticence de la famille, ne tient pas. Et tant qu’à faire symbole, pourquoi ne pas lui associer le grand poète Apollinaire, naturalisé français et mort pour la France, au moment où le pays des droits de l’Homme se montre frileux dans l’accueil des artistes et des intellectuels afghans menacés dans leur vie et dans leurs libertés, au premier rang desquels les femmes ?

Car sans Guillaume, George, Gisèle et Joséphine, plus rien ne s’opposera à la nuit, plus rien ne justifiera la lutte contre le retour des ténèbres.

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Commentaires

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  1. Excellente l’analyse du “refus” de l’entrée de Gisèle au Panthéon. Juste à la veille du 60ème anniversaire des accords d’Evian et de la plus grande transhumance humaine de l’Histoire du Monde (plus d’un million de pieds-noirs, harkis et Algériens, aussi, ne l’oublions pas, le président Macron ne pouvait pas risquer de perdre des dizaines de milliers de voix alors que certains rapatriés attendent encore justice et paiement des biens perdus à jamais. Et ce, juste avant une échéance présidentielle hasardeuse. Gisèle attendra donc son tour. Doublée sur la white-line par Joséphine, la Black venue des USA pour séduire la France…C’est ainsi qu’on écrit, à sa façon, une page d’Histoire. Depuis son plus jeune âge, Macron a toujours été un joueur et depuis ses 15 ans tout semble lui réussir…

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