Gouvernement: la Realpolitik

Sans doute moins haletant, pour beaucoup, que le suspens entretenu, jusqu’à dimanche, autour du possible transfert de Kylian Mbappé au Real de Madrid, l’insoutenable légèreté de l’attente du nouveau casting gouvernemental a enfin connu son épilogue, au risque de l’indifférence lassée. Tant le sort réservé à Damien Abbad ou à Catherine Vautrin – Retour à Reims1 – n’était pas forcément la préoccupation majeure des Français. Emmanuel Macron confirme sa pratique d’une Realpolitik entendue comme établie sur des considérations de rapports de force et de possibilités concrètes, sans influence idéologique exclusive, oscillant entre pragmatisme et opportunités.

Par Pierre Allorant

Hôtel Matignon sce Wiki

Born(e) to be alive. Une révélatrice de la nature du macronisme ?

La nomination à Matignon d’Élisabeth Borne, la favorite initiale des lendemains de la Présidentielle, n’a guère soulevée en elle-même d’enthousiasme ou d’effet de surprise, ce qui est d’ailleurs préférable au rejet qu’aurait suscité la très droitière Présidente du Grand Reims. Non que la personnalité de la nouvelle première ministre soit inintéressante, son parcours social et politique n’est pas anodin, pas plus que son formation : avec une X-Ponts, grosse travailleuse et efficace dans la gestion des dossiers transport, transition environnementale et relations sociales, Macron donne enfin un indice sur l’identité politique du macronisme : ni droite, ni gauche, mais dans la tradition très française des élites formées par les écoles d’ingénieurs, dans le culte du progrès des sciences, de l’innovation des techniques et de la production, contre la rente et la « société bloquée », en bref, l’idéologie des saint-simoniens au 19e siècle, si appréciée des Polytechniciens, jusqu’au mouvement « X-crise » des années 1930.

Le chant du Guépard

Il fallait donc, pour que rien ne change, tout changer au sein des portefeuilles gouvernementaux, d’autant que le « vice-président » Alexis Kohler, l’alter ego, reste en place au secrétariat général de l’Élysée. Ce pari est-il tenu par la nouvelle composition de l’équipe Borne ?

Comme dans le grand classique illuminé par Claudia Cardinale, Alain Delon et Burt Lancaster, changements et continuité sont imbriqués. Les deux poids lourds de droite du premier quinquennat, le « premier flic de France » et le grand argentier néolibéral converti au « quoi qu’il en coûte » conservent, sans surprise, leur maroquin. En revanche, le maintien de l’incontrôlable et controversé Garde des Sceaux interroge à tout le moins, à l’heure où ses ennuis judiciaires pourraient déteindre sur le nouveau gouvernement. Moins flagrant, le choix de nommer ministre de la Transformation et de la Fonction publique l’ex-dirigeant de LREM Stanislas Guérini apparaît, au mieux, comme une exfiltration d’un parti qui n’a jamais trouvé sa place, au pire comme une faute de goût après ses très malencontreuses déclarations favorables au maintien de la candidature législative de Jérôme Peyrat, en violation totale de la « grande cause » proclamée par le Président : la lutte si indispensable contre les violences conjugales et familiales.

Prises de droite et équilibres internes à la « majorité plurielle »

Comme on le pressentait, ce nouveau gouvernement est également l’occasion pour le couple exécutif d’exposer ses prises de guerre dans sa tentative d’étouffement de la droite classique : la chiraquienne Catherine Colonna au Quai d’Orsay est accompagnée de l’entrée de celui qui était encore hier président du groupe parlementaire LR à l’Assemblée nationale, Damien Abad, au ministère des Solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. Ces prises sont complétées par l’accession – enfin ! – du maire d’Angers Christophe Béchu au ministère des collectivités territoriales, lui qui en rêvait depuis le quinquennat Sarkozy, était toujours annoncé, et jamais nommé. Sa nomination est également un moyen habile de donner un gage au parti « Horizons » d’Édouard Philippe, regroupement de maires du centre-droit, à moins qu’il ne s’agisse d’en détacher le membre le plus emblématique, son secrétaire général. Les équilibres de la majorité présente et peut-être future, désormais vraiment plurielle, est également derrière la promotion du ligérien Marc Fesneau, négociateur en chef du Modem et désormais ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, un poste taillé sur mesure pour le maire de Marchenoir, excellent spécialiste de ces questions devenues cruciales sur fond de guerre, de pénurie et de flambée mondiale des cours du blé, et de sécheresse précoce.

Femmes promues et chiffons rouges pour l’extrême droite

Enfin, ce nouveau gouvernement, en formation de combat électoral en vue des scrutins des 12 et 19 juin, comporte également des signaux « progressistes » qui électrisent déjà le verbe haineux de l’extrême droite. Dans le sillage de la nomination de la Première Ministre, évènement en soi dans un pays marqué par le déferlement de mépris machiste d’il y a trente-et-un ans à l’encontre d’Édith Cresson, plusieurs femmes ministres ou secrétaires d’État sont promues, à l’instar d’Amélie de Montchalin ou d’Agnès Pannier-Runacher. En lieu et place du désormais féru de pralines Mazet – le gondolier de la « Venise du Gâtinais » Jean-Michel Blanquer – la nomination courageuse et éclatante du brillant historien Pap Ndiaye, « pur produit de la méritocratie républicaine » selon ses propres mots, spécialiste de la question noire et de l’histoire sociale des États-Unis et, jusqu’à aujourd’hui, directeur du Musée national français de l’histoire de l’immigration, fait éclater le vernis « dédiabolisé » du RN, retourné naturellement à son lit raciste et à ses crues éructantes contre « l’indigéniste ».

Ce « chiffon rouge » ferait presque oublier aux lepénistes la nomination à la culture de l’ancienne conseillère de l’Élysée sur ces thématiques, l’inventeuse du « Pass culture », la franco-libanaise Rima Abdul-Malak. Si l’on y ajoute les nominations d’Amélie Oudéa-Castéra aux Sports et aux Jeux-Olympiques, de Sylvie Retailleau, présidente de l’université de Saclay à l’Enseignement supérieur, à la Recherche et à l’Innovation, on peut espérer tourner le dos aux provocations stériles du duo Blanquer-Vidal, ressenties par les acteurs soit comme du mépris, soit comme de l’incompétence.

Pour reprendre le titre de la thèse de Pascal Ory consacrée à la politique culturelle du Front populaire menée par Jean Zay pour la jeunesse, l’éclat de la culture française et l’éducation de tous à la beauté du monde, espérons que ces promesses ne se transformeront pas en « Belle illusion »2. À défaut de majorité législative, les noces célébrées à l’issue du très « Long dimanche de fiançailles » de gestation de ce gouvernement n’apparaîtraient que comme une Bague sans doigt3.

1 Didier Eribon, Retour à Reims, Champs essais, Flammarion, 2018.

2 Pascal Ory, La Belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, CNRS Editions, « Biblis », 2016.

3 La Bague sans doigt est le titre donné par Jean Zay au premier roman policier qu’il écrit en captivité et publie chez Julliard en 1942. Il sera réédité le 30 juin prochain aux Editions Le Mail à Orléans.

Commentaires

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  1. Le ministère de l’agriculture plus que jamais aux mains de la FNSEA : M. FESNEAU a fait tout sa carrière professionnelle à la Chambre d’Agriculture de Loir et cher qui comme toutes les autres est tenue par ce syndicat . On comprend que sa présidente se félicite de cette nomination , elle n’aura même plus à faire pression pour orienter les décisions … ce qu’elle faisait déjà très bien .

  2. Et j’attends de voir en effet comment ce quinquennat agricole sera écologique ou ne sera pas …
    Quant à monsieur Habad , cette belle prise à droite sent déjà les emmerdes dont le regrette Jacques Chirac avait bien observé qu’elle vole en escadrille …

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