Législatives: Grand Prix de Chantilly

Deux mois après des présidentielles poussives, marquées par le contexte de guerre en Europe, les élections législatives de dimanche n’auront connu qu’une « drôle de campagne » entrecoupée de polémiques stériles ou caricaturales : le burkini des piscines de Grenoble, l’affaire « Abad-trip », les violences policières, la chantilly renversée par l’inverse de la crème des enseignants sur le parachuté du Gâtinais.

Par Pierre Allorant

Devant un tel spectacle, la lassante course des tout petits chevaux, comment les citoyens pourraient-ils s’enthousiasmer de se muer en électeurs d’un jour, alors même que les principaux acteurs politiques semblent absents – la nouvelle première ministre, confinée dans le Calvados, sur les plages du 6 juin – ou désabusés, telle la présidente du Rassemblement national, résignée à la défaite ?

Mélenchon en infiltration ou la campagne d’arrache-pied

Comme depuis la campagne présidentielle de 2017, le seul participant à partir vaillamment au front est Jean-Luc Mélenchon, bonifié par les ans comme Nadal sur la terre battue, mais un Nadal qui, battu en demi-finale, réussirait à faire croire à tous que, bon pied, bon œil, il remettrait son titre en jeu pour le tournoi sur herbe de Matignon. Dans l’atmosphère morne de cette fin de campagne tronquée, la dynamique est du côté de la Nouvelle alliance montée à la hâte pour conjurer la disparition des partis de gauche, en cachant sous le tapis la poussière des profonds désaccords internationaux ou sur le nucléaire. Cette réussite tactique résulte d’une forme d’alliance objective avec la majorité sortante macroniste, avant tout soucieuse d’éviter le combat et de se présenter comme la seule force de gouvernement possible. Les lendemains du scrutin risquent de peu chanter pour la démocratie représentative, si le grand écart se creuse encore entre une large majorité reconduite à l’Assemblée nationale par le jeu du mode de scrutin et un pays fracturé et sceptique à près des ¾ sur le chemin politique tracé.

Une stratégie et des enjeux porteurs pour la gauche

La nature électorale a horreur du vide : le nouveau gouvernement, annoncé tardivement dans l’indifférence, n’a pas suscité d’élan, d’autant que ses membres évitent soigneusement tout débat de peur de ressusciter, sous son nouvel avatar de « retraite à 65 ans », le fantôme de la « TVA sociale » de Borloo en 2007, fatale alors à une cinquante de candidats. La Nupes a mis à profit cette potentialité de donner le tempo et de rendre crédible le mythique « 3e tour » pour Matignon. Ce tour de passe-passe a également bénéficié, sur le fond, des aspirations des électeurs, qui plébiscitent trois thématiques marquées à gauche : le pouvoir d’achat, rogné par l’inflation, les déserts médicaux et le coma prolongé du système hospitalier et de ses urgences, et les préoccupations environnementales. Les obsessions identitaires entretenues par les extrêmes droites arrivent très loin derrière et confirment que ce troisième bloc ne postule pas à la victoire, préférant vider ses querelles internes en famille ; autrement dit, pour Marine Le Pen, en dehors de sa propre réélection à Hénin-Beaumont, la priorité est de tuer dans l’œuf peu frais la rébellion zemmourienne qui l’a privée de ses cadres, mais pas de sa base électorale populaire.

Basses eaux de la participation, risque d’assèchement des terres de droite

A l’inverse, l’accord à gauche sur des candidatures uniques systématiques assure en pratique la présence majoritaire de ses candidats au second tour, là où une pluralité les aurait condamnés à la disparition. La division de l’extrême droite et l’état de faiblesse confirmé de la droite classique les menacent d’une représentation parlementaire très amoindrie, à la limite de la possibilité de former un groupe à l’Assemblée. Pour le parti dominant de la Cinquième République, le risque d’être réduit à un simple club de notables locaux vieillissants est fort, et seuls les sortants très implantés survivront à ce coup de sirocco. Or, dans le Loiret, Marianne Dubois et Jean-Pierre Door ont raccroché les crampons, et Claude de Ganay doit faire face à la dissidence du maire de Sully, très soutenu par les grands élus du département.

Le paradoxe du mode de scrutin : prendre le quart pour décrocher une majorité parlementaire

En conséquence, le grand chelem effleuré en 2017 par un mouvement naissant pourrait être remporté en 2022. Mais sans enthousiasme populaire, comme par défaut, porté par le tassement dangereux de la participation, des basses eaux démocratiques qui font émerger les forces soutenues par un électorat légitimiste, âgé et aisé. Chacun pourra comprendre qu’une discordance trop marquée entre le gros quart des électeurs solidement attachés au Président de la République et une majorité potentiellement absolue des députés soulignerait le malaise d’institutions à bout de souffle. A ce titre, l’élection de députés d’opposition actifs dans les débats parlementaires et le contrôle de l’action gouvernementale serait salutaire pour la vitalité démocratique.

Val de Loire, rive gauche désertée et marais insalubres

La région Centre-Val de Loire, dépourvue de députés de gauche depuis 2017 (pour 22 circonscriptions), n’a pu compter que sur l’hyperactivité du Questeur Jean-Pierre Sueur au Sénat pour exister au Parlement. Seule la 1e circonscription d’Indre-et-Loire peut offrir au vice-président écologiste du conseil régional, Charles Fournier, un tremplin à partir du socle municipal tourangeau; à défaut de sa victoire sur le sortant Chalumeau, l’ex-frondeur Laurent Baumel pourrait allumer le feu au chinonais, récemment touché par la grêle ; dans la 2e circonscription du Cher, le maire communiste de Vierzon Nicolas Sansu pourrait prendre sa revanche sur 2017. De revanche à Reconquête, il n’y a qu’un pas, celui que tentera le gyrovague Guillaume Peltier, spécialiste du nomadisme extrême-droitier, menacé d’être le gibier d’une chasse-à-courre de ses anciens compagnons en Sologne blésoise, déterminés à recueillir ses bois de cerf.

Tant rien ne sert de trahir, il faut partir à point.

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