Les chroniques judiciaires de Joséphine: Orléans #3

Si Magcentre ne couvre pas l’actualité judiciaire, c’est plus par manque de moyens que par manque d’intérêt pour une actualité quotidienne qui révèle une réalité sociale souvent dérangeante. Une journée vécue par un groupe d’élèves dans cet univers judiciaire est l’occasion de prêter une attention particulière à une justice si souvent décrite comme mal dotée pour l’efficacité de son action. Voici donc le compte-rendu d’une journée ordinaire au tribunal d’Orléans.

Par Joséphine


Affaire 8

Cette fois, seuls les représentants légaux de la victime et leur avocate sont présents. L’accusée, une femme de presque 70 ans a écrit une lettre au tribunal pour dire qu’elle ne voulait pas être présente.

Il y a quelques mois, une dame de ménage dans une résidence HLM entend des pleurs qu’elle considère comme alarmants, elle descend au rez-de-chaussée, identifie l’appartement d’où proviennent les cris, elle sort, contourne le bâtiment et va voir par une fenêtre à l’arrière. Elle découvre l’accusée, assistante maternelle, en train de tirer par les cheveux un enfant de deux ans sur son lit, puis le saisir et le frapper sur les membres pour qu’il s’endorme enfin. La dame de ménage appelle immédiatement les parents et se réfugie, en pleurs, chez la gardienne. Les parents débarquent et prennent le petit puis partent à l’hôpital le faire examiner par les services judiciaires spécialisés. Le médecin constate des bleus probablement causés par des coups et un décalage de la fontanelle, possiblement issu de coups répétés. Les parents portent plainte, et déclarent que leur fils avait en effet changé d’attitude depuis quelques semaines, pleurant lorsqu’ils l’emmenaient chez la nounou, et hurlant lorsqu’on lui touchait la tête, notamment pendant le bain, sa sœur a commencé à avoir des tocs à peu près à la même période.

Entendue par la police, l’assistante maternelle nie en bloc, elle déclare avoir juste couché l’enfant et que la dame de ménage a mal vu, mal compris. Elle accuse d’ailleurs la maman d’être instable, sous-entendant que si blessure il y a, c’est la maman la responsable. Elle finit son audition par la police en précisant qu’elle est partie à la retraite depuis les faits, très peinée par l’accusation.

L’avocate des parents de la victime parle de trahison, de cette assistante maternelle qui est une sorte de troisième grand-mère, de confidente depuis des années. Elle parle de déni massif, des services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui après enquête ont retiré l’autorisation d’exercer à l’accusée qui, de fait, n’est pas partie à la retraite de son plein gré. Elle parle de la maman qui a eu besoin de trois séances de psy pour gérer la culpabilité de ne pas avoir constaté plus tôt que quelque chose clochait. Elle demande 5 000 euros de dommages et intérêts. La Procureure reprend son expression favorite et est confiante dans le fait que le « Tribunal reconnaîtra sans aucune difficulté la culpabilité de la prévenue ». Elle demande 6 mois avec sursis et l’interdiction de travailler avec des enfants.

Délibéré renvoyé à plus tard.

 


Affaire 9

Arrive un monsieur de 40 ans, il habite à Pithiviers, il vit en concubinage, il a quatre enfants, il est technicien de maintenance. Il est accusé de conduite d’un véhicule sans permis, sans assurance, sans carte grise à jour et sans contrôle technique à jour, le tout sous l’emprise de cannabis. Il a 6 mentions au casier, des vols, des blessures, des destructions, des délits routiers, de l’extorsion.

Lui, il a un avocat, un sacré numéro. Après l’exposé des faits et l’examen de la personnalité, l’avocat tient à refaire dire à son client qu’il a bien 4 enfants en bas âge à charge. L’accusé dit qu’il a fumé du CBD – légal – et non du cannabis et qu’il ne savait pas qu’il n’avait plus de permis vu qu’il n’avait pas reçu la lettre recommandée de la Préfecture qui lui signifiait l’annulation de permis à la suite d’un contrôle routier pour un excès de vitesse quelques semaines auparavant.

La Procureure ne croit pas à la thèse du CBD ni de la lettre non reçue, d’ailleurs la Poste certifie avoir toqué à la porte et avoir laissé un papillon de son passage pour que le monsieur aille retirer le courrier les jours suivants. « Ce sont les excuses classiques que l’on entend à longueur de temps dans un tribunal. Vous attendez qu’il y ait un accident grave pour réagir monsieur ? ». Elle demande 3 mois ferme et une suspension de permis de 6 mois, une fois que « le Tribunal aura reconnu sans difficultés la culpabilité du prévenu ».

L’avocat de la défense sort alors le grand jeu, subjuguant les élèves dans le public, qui retiennent quelques sourires. Selon lui, il y a méprise, en fait son client consomme du CBD rapporté de Suisse par le beau-frère et les normes ne sont pas les mêmes, il y a parfois par accident plus de substance active que dans le CBD français, il « suffit de se renseigner sur Internet pour le constater ». Le coup de l’annulation de permis ? Un quiproquo. En fait le client n’a pas eu le papillon du passage du facteur donc il n’a pas pu aller chercher le recommandé et de toutes façons il travaille car il a quatre enfants à nourrir. L’avocat s’appuie alors sur une mésaventure personnelle, preuves à l’appui, montrant à la cour un papillon de passage de recommandé avec marqué « absent le jour de la distribution », alors que l’avocat affirme « mais j’étais là et j’ai bien reçu le recommandé, donc vous voyez, la Poste fait des erreurs… et puis avec le manque de moyens connu et reconnu, ça ne fait qu’empirer ». L’avocat s’emporte : « Mon client n’a pas été condamné depuis 4 ans et vous voulez l’envoyer en prison pour avoir fumé du CBD suisse et ne pas avoir reçu de papillon de la Poste, c’est ubuesque ! Il a besoin de son véhicule pour aller travailler, votre condamnation, ce serait un arrêt de mort social ! ».

Délibéré renvoyé à plus tard.

Fin de la journée.

Plus d’infos autrement sur Magcentre :

Les chroniques judiciaires de Joséphine : Orléans #1

Les chroniques judiciaires de Joséphine: Orléans #2

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