Cloé Korman au Cercil à Orléans : « J’ai écrit à hauteur d’enfant »

L’écrivaine Cloé Korman a présenté ce mardi 8 novembre 2022 au Cercil-Musée Mémorial des enfants du Vel d’hiv son quatrième livre Les Presque Soeurs (Seuil). Un roman “vrai” qui raconte le destin de six fillettes juives entre 1942 et 1944, dont trois, petites-cousines de l’autrice, seront assassinées à Auschwitz.

Par Sophie Deschamps 

Cloé Korman a présenté son roman Les Presque Soeurs ce 8 novembre 2022 au Cercil à Orléans. Photo Sophie Deschamps

La petite salle du Cercil était à nouveau comble mardi soir avec la venue de Cloé Korman pour son quatrième roman Les Presque Soeurs, presque Prix Goncourt. On attend d’ailleurs le verdict des lycéens le 24 novembre…

Ce roman raconte avec beaucoup de tendresse et de délicatesse l’histoire vraie de six fillettes juives : Mireille, Jacqueline, Henriette Korman et Andrée, Jeanne et Rose Kaminsky qui elles ont survécu. Deux familles différentes qui se connaissent. Arrêtées en 1942 chez elles à Montargis, elles seront ensuite ballottées du camp d’internement de Beaune-la-Rolande en foyers d’accueil gérés par la très controversée Union générale des Israélites de France (UGIF) dans Paris puis à Saint-Mandé dans la banlieue proche mais cette fois pour les trois sœurs Korman seulement. C’est là qu’un bus viendra les cueillir le 22 juillet 1944 avant de monter neuf jours plus tard dans un wagon plombé pour Auschwitz, d’où elles ne reviendront jamais.

C’est Hélène Mouchard-Zay, co-fondatrice du CERCIL qui animait cette rencontre. Elle a rappelé que l’une des raisons d’être de ce mémorial des enfants du Vel d’Hiv est de redonner vie à tous ces bambins tués, à l’instar de la salle qui regroupe les photos de ces jeunes vies disparues, certaines cases restant encore désespérément vides.

D’emblée, elle lit la dernière page du livre où Cloé Korman a couché sur le papier une magnifique réflexion sur l’enfance en partant des jouets de ses fils « toutes ces choses auxquelles les enfants prêtent vie avec un sérieux qui n’a d’égal que leur absence de sérieux, leur capacité à quitter aussi subitement qu’ils ont commencé (…) J’ai eu l’impression qu’elle représentait une chance de survie, un vêtement qu’on met seul et qui protège contre ceux qui voudraient que vous ne soyez pas nés. »

Échange amical et intense entre Hélène Mouchard-Zay co-fondatrice du CERCIL et Cloé Korman autrice du roman Les Presque Soeurs. Photo Sophie Deschamps

Car c’est bien de cela dont ce livre parle, de l’enfance volée de six petites filles : « J’ai voulu écrire à hauteur d’enfant », glisse cette femme à la voix douce qui se concentre pour parler vrai, offrir le mot juste à son auditoire, tendu dans l’écoute de cette parole qu’il devine intime et essentielle.

Le choix du roman 

Cloé Korman explique très vite qu’elle a choisi la forme littéraire du roman donc un livre sans photos ni documents pour échapper à l’aspect “glaçant” des archives même s’il peut y avoir de belles surprises. Ainsi quand elle est venue au CERCIL qui garde la mémoire des sœurs Korman, elle a eu la joie de découvrir, précieusement conservées, quelques pièces de la dînette en faïence de l’aînée, Mireille. 

Par ailleurs, Cloé Korman a tenu à préciser que tous les faits relatés sont réels mais qu’elle a tenu « à rendre grâce de façon centrale dans le livre à l’imagination des enfants. C’est aussi ma forme de réalisme à moi et je pense que l’imagination est vitale pour les faire revivre. D’ailleurs pour les scènes imaginées, j’ai pris la précaution de dire peut-être, je me demande, ou bien encore c’était possible.»

Un début de polémique 

En fin d’entretien, Hélène Mouchard-Zay a pris soin de revenir sur le début de polémique déclenché fin octobre par l’une des sœurs Kaminsky qui accuse ni plus ni moins l’écrivaine de leur « avoir volé leur histoire », alors que cette dernière avait pris soin de leur envoyer son tapuscrit avant publication et avait accepté de changer leur prénom et nom de famille.

Mais Cloé Korman dit comprendre la colère de ces vieilles dames : « C’était très important pour moi d’entendre le trouble de personnes témoins qui se voient représentées dans un livre et leur histoire racontée autrement. Mais cela a été un choc pour moi que l’affection et la tendresse que je leur porte n’aient pas été entendues et que quelque chose demeure qui les fâche. Avant d’avouer : je ne sais pas comment résoudre leur colère ».
Puis elle ajoute : « J’avais de mon côté le souci de représenter mes petites cousines mortes qui elles ne peuvent plus dire un mot de leur histoire, sachant que dans les témoignages des autres soeurs Kaminsky, lors de cet internement de sept mois, les petites Korman sont toujours là, elles sont inséparables.

Je voulais aussi parler des milliers d’enfants qui ont subi le même sort que les sœurs Korman, et dont certains ont croisé leur chemin ». Elle révèle aussi avoir reçu, après la parution du livre, des témoignages d’anciens enfants internés dont un, bouleversant, sur les petites Korman « aperçues à Montargis, jouant silencieusement dans le jardin avec leur père parce que personne n’avait le droit de sortir de la maison ». Et de conclure que ces témoignages lui sont bien sûr « très chers car ils prolongent le roman

*Les prénoms et les noms des trois personnes encore vivantes Jeanne, Andrée et Rose Kaminsky ont été changés.

Alors, il faut lire attentivement chaque mot du texte de Cloé Korman. Elle qui n’a eu de cesse de raconter ces six petites filles pour les garder vivantes envers et contre tout comme elle l’écrit page 82 :

« Pithiviers et Beaune-la-Rolande sont déjà un morceau d’Auschwitz, pourtant aucun de ceux qui sont conduits là-bas ne porte par avance l’empreinte de sa mort- seuls les bourreaux les regardent ainsi. Si on veut se soustraire à ce regard, il faut essayer de garder en respect ce que l’on sait de la fin. Il faut essayer de donner à chaque journée des dimensions semblables si l’on veut laisser ces petites filles dans leur âge, dans l’aura de leur duvet d’enfants, et ne pas en faire des cadavres debout ».

Enfin, il faut méditer ce passage sublime de Charlotte Delbo, rescapée d’Auschwitz, qui a écrit en 1970 dans Sa prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants :

Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d’être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Orléans : le pape Pie XII sur la sellette au Cercil

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